Des fédérations fonctionnant pour la plupart selon le mode associatif (bénévolement), peu d'entreprises investissant dans le sport, des clubs majoritairement déficitaires qui survivent grâce aux investissements personnels d'hommes d'affaires ou de politiques passionnés... la situation financière du sport libanais est aujourd'hui dans le rouge.
Si aucun chiffre officiel n'est disponible sur la part que représente ce secteur du produit intérieur brut (PIB), les estimations tablent sur plusieurs millions de dollars - des chiffres bien en deçà de ceux observés dans d'autres pays, notamment les économies développées où le sport représente généralement entre 0,5 et 2 % du PIB annuel. En France, par exemple, les dépenses liées au secteur du sport se sont élevées à 33 milliards d'euros en 2007, soit 1,8 % du PIB.
Au Liban, où la culture du sport n'est pas encore assez ancrée et où l'économie - peu diversifiée - repose sur quelques secteurs-clés, le sport souffre d'une « sécheresse » financière qui l'entraîne dans un cercle vicieux : le manque d'investissements entrave toute évolution vers une professionnalisation, ce qui altère l'engouement des passionnés et démotive aussi les joueurs talentueux à se lancer dans une carrière hasardeuse. Résultat : le niveau de rentabilité du secteur attire peu d'investisseurs et ainsi de suite....
À cet égard, une première injection lourde de liquidités (à travers des subventions, des crédits bancaires et autres sources de financement) revêt une importance capitale pour franchir l'étape incontournable à l'envol du secteur : la professionnalisation. Celle-ci permettrait de briser le cercle vicieux et de générer plus de recettes car elle entraînerait une hausse du niveau sportif et augmenterait ainsi les recettes générées par la billetterie, tout en incitant les compagnies (banques, restaurants, etc.) à sponsoriser davantage clubs et fédérations.
Le football toujours en attentePremier sport à souffrir au Liban de cette pénurie d'investissements : le football. Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, le président de la Fédération libanaise de football (FLF), Hachem Haïdar, a déploré l'état financier dans lequel se trouve aujourd'hui ce sport qui survit, dit-il, « grâce aux donations des uns et des autres ».
D'ailleurs, les chiffres de la fédération en disent long. Celle-ci, qui regroupe au total 24 clubs (première et deuxième divisions), a un budget total qui tourne depuis des années autour d'un million de dollars, ce qui lui permet à peine de subvenir à ses dépenses courantes. Au niveau des droits télé, par exemple, la Future TV retransmet les rencontres de première division depuis maintenant huit ans, et les a achetés pour la saison prochaine pour un montant s'élevant à 300 000 dollars, auxquels s'ajoutent 200 000 dollars pour la diffusion sur satellite.
En comparaison avec la France, ces chiffres paraissent largement dérisoires. En effet, la diffusion des matches de football de la Ligue 1 sur la période 2008-2012 coûtera aux chaînes concernées quelque 668 millions d'euros par an.
Deuxième source de recettes pour la fédération libanaise : les subventions de la FIFA qui accorde généralement 250 000 dollars par an à la FLF. « Cette année, Coupe du monde oblige, un montant de 500 000 dollars nous a été versé par la fédération grâce aux recettes de cet événement sportif planétaire », indique Hachem Haïdar. « De plus, l'État a promis de verser 400 000 dollars pour cette saison », indique-t-il, mais ce montant se fait toujours attendre... « Quoi qu'il en soit, ces recettes, dont une partie sert à l'organisation interne de la fédération et une autre partie aux allocations aux clubs, sont insuffisantes pour faire vivre ce sport et le professionnaliser », souligne le président de la FLF.
À cela s'ajoute le fait que le football libanais est privé depuis 2005 des recettes de la billetterie en raison de l'interdiction au public d'assister aux matches pour des raisons politiques. Ces recettes avaient atteint 130 000 dollars en moyenne, au cours des années 2002-2005, dont 20 % étaient alloués à la fédération et 80 % aux clubs. « Heureusement, à partir de cette saison, les stades seront rouverts au grand public, ce qui permettra aux clubs et à la fédération de renflouer leurs caisses », souligne Hachem Haïdar.
Face à cette situation, les clubs fonctionnent toujours sur le mode amateur, les joueurs libanais, dont la plupart exercent une autre activité professionnelle, touchant en moyenne entre 500 et 600 dollars par mois. Seuls quelques joueurs étrangers bénéficient en effet du statut de « professionnels » et d'un salaire plus décent, qui s'élève en moyenne à 2 000 dollars par mois.
Selon M. Haïdar, la manne financière provenant d'hommes d'affaires et d'hommes politiques investissant dans le football pour des raisons sociales ou personnelles est ainsi souvent salvatrice....
Le basket loin de son optimumSi les finances du football libanais sont loin d'être au beau fixe, celles du basket ne sont pas plus reluisantes, même si les recettes générées sont plus importantes et que les coûts propres à l'infrastructure et à l'entretien sont généralement moins élevés.
Selon Georges Barakat, président de la Fédération libanaise de basket-ball (FLB), « la base économique du basket n'est pas encore assez solide étant donné le manque de sponsors ». « De 1997 à 1999, le basket avait connu un boom sans précédent grâce notamment aux exploits sportifs de La Sagesse à l'échelle régionale et continentale. Ce boom avait largement enthousiasmé les sponsors, qui ont massivement investi dans ce sport durant cette période. Cette effervescence ne s'est toutefois pas prolongée et n'a pas incité les compagnies à investir durablement. Aujourd'hui, ce sont toujours des personnes qui gèrent le basket au Liban et non des sociétés, ce qui entrave sa pérennité sur le plan financier », affirme-t-il.
Mais, contrairement au football, plusieurs paramètres laissent croire que le basket bénéficie d'une certaine stabilité financière. Cette dernière émane des recettes provenant des sponsors (plus importantes que le football), des droits de diffusion que la Future TV a payés (300 000 dollars cette année) pour la retransmission locale, et de la chaîne régionale al-Jazira qui a versé 385 000 dollars pour la retransmission dans les pays arabes. En outre, indique Georges Barakat, « l'État a subventionné cette année la fédération à hauteur de 900 000 dollars en raison de la qualification de l'équipe nationale pour la Coupe du monde, qui débutera le 28 août prochain » en Turquie. Dernière source de recettes, « la billetterie, qui a généré 110 000 dollars cette saison avec un prix de billet s'élevant à 5 000 livres », indique le président de la FLB. En conséquence, « les clubs des deux premières divisions sont tous professionnels et la troisième division prend également cette voie ».
La FLB, dit-il, compte six employés à temps plein, « qui ne sont pas bénévoles, contrairement à la plupart des membres des autres fédérations sportives », ajoute George Barakat. De plus, preuve de la bonne santé de ce sport, « les budgets annuels des clubs varient entre 150 000 et 1,5 million de dollars, et les joueurs des clubs gagnent entre 1 000 et 12 000 dollars (...) ».
Certains joueurs locaux ont même réussi à réaliser une carrière juteuse, à l'instar de Fadi el-Khatib, l'ailier de l'équipe de Champville, qui touche aujourd'hui quelque 15 000 dollars par mois, indique le président de la FLB.
Quant aux joueurs étrangers, leurs salaires « varient entre 5 000 et 25 000 dollars par mois, certains touchant même 30 000 dollars par mois, comme, par exemple, le joueur américain du Club sportif, Nate Johnson », ajoute-t-il. Ces salaires plutôt alléchants attirent de plus en plus de joueurs talentueux qui n'hésitent pas à se lancer dans une carrière qui, contrairement à celle du football, paraît bien plus prometteuse.
Le basket au Liban a donc une grande marge de progression et le faire évoluer pourrait contribuer au développement d'autres secteurs.
Faire bénéficier l'économieEn effet, le développement du sport pourrait largement servir à d'autres secteurs d'activité au Liban, comme en témoignent les retombées positives de la dernière Coupe du monde sur le secteur de la restauration.
Durant cet événement phare du monde sportif, les bars et restaurants au Liban ont versé jusqu'à 4 000 dollars de droits de diffusion à al-Jazira, qu'ils ont largement rentabilisés vu l'engouement de la population pour ce sport. Les cinémas ont eux aussi profité de cet intérêt pour le ballon rond en retransmettant les matches dans les salles, comme l'a fait Grand Cinémas, qui a vendu à 45 000 livres chacune des 650 places de ses trois branches pour la finale de la Coupe du monde. Le marché des produits dérivés a lui aussi profité de la compétition avec la vente de drapeaux et tee-shirts des équipes participantes...
Ainsi, l'investissement dans un sport comme le football au Liban permettrait non seulement d'élever le niveau professionnel, mais de doper dans une certaine mesure l'économie locale.
En attendant, faute d'investisseurs, le sport libanais tarde à s'affirmer comme un secteur économique à part entière et ne devrait pas franchir un nouveau palier tant que l'État ne lui accorde pas une part plus importante de son budget.