18 août 2011

Les produits dérivés sont-ils dangereux ?

La dernière crise financière internationale a révélé au grand public la nocivité des produits dérivés bancaires. En effet, la Réserve fédérale américaine (FED) avait encouragé le crédit facile à partir de 2002 pour relancer l’économie, permettant à un grand nombre de ménages d’acquérir leur logement. Le mouvement a été facilité par les produits dérivés des « subprimes » accordés par les instituts de crédit aux ménages. Les taux d’intérêt de ces prêts étaient proportionnels à la valeur du bien immobilier. Plus la maison avait de la valeur, plus le taux était bas. Inversement, quand la maison perdait de la valeur, le taux d’intérêt grimpait. C’est ce qui s’est passé avec l’effondrement du marché de l’immobilier en 2007.


Les ménages n’ayant plus les moyens de payer des mensualités de plus en plus élevées qu’imposait la hausse des taux d’intérêt, les instituts de crédit n’ont plus été capables de rembourser aux banques, étant donné que la baisse de la valeur de la maison rendait sa saisie peu fructueuse. Les banques, qui avaient investi dans ses instituts de crédit, ont été à leur tour touchées. Pour compenser leurs pertes, elles ont été obligées de vendre leurs actifs, provoquant la chute des valeurs sur les marchés financiers.
Les principaux inconvénients des produits dérivés sont qu’ils sont générateurs de dette ainsi que d’incertitude, étant donné que nombreux sont ceux qui ne comprennent pas comment « fonctionnent » ces produits. Un autre aspect négatif des produits dérivés est l’incitation à la spéculation sur des composantes qui affectent l’économie mondiale. Ainsi, cette spéculation a contribué à la hausse du prix du pétrole, qui a des conséquences négatives sur plusieurs secteurs de l’économie.
Selon le directeur associé de la banque française Natixis, Roy Awad, un autre inconvénient des produits dérivés est leur opacité. « En effet, on mélange des actions risquées et non risquées (...) sous la couverture des agences de notation qui leur accordent des triple A », a-t-il souligné.
M. Awad a en outre déploré l’insuffisance de la régulation des produits dérivés, en dépit des conséquences négatives de la crise financière internationale à l’échelle mondiale. « Après une période où les produits dérivés étaient moins souvent proposés par les banquiers, ils sont à nouveau régulièrement offerts par ceux-ci depuis un an et demi », a-t-il expliqué.
Rappelons qu’un produit dérivé est un instrument financier dont la valeur fluctue en fonction de l’évolution du taux ou du prix d’un produit appelé sous-jacent. Il s’agit d’un contrat entre deux parties qui fixe des flux financiers futurs fondés sur ceux d’un actif financier réel ou théorique.
Ces produits présentent toutefois de nombreux avantages. En effet, selon M. Awad, ils permettent d’augmenter les liquidités sur le marché et de réduire la pauvreté.
De plus, ils permettent de réduire les risques.
Ainsi, ils permettent à un gérant de portefeuille de se prémunir contre le risque d’évolution de la valeur de ses actions. Les dérivés financiers sont également très utiles pour les producteurs agricoles soucieux de parer au risque de l’évolution des prix des matières premières.
Notons qu’au Liban, contrairement à d’autres pays, la réglementation sur les produits dérivés est très stricte, ce qui a permis au pays du Cèdre d’éviter les conséquences de la débâcle internationale.
En effet, l’article 24 de la circulaire 27 de la Banque du Liban (BDL) souligne que les banques commerciales n’ont le droit de réaliser des opérations sur les produits dérivés que si ces opérations sont réalisées dans le but de se prémunir contre le risque (hedging en anglais). De plus, selon l’article 2 de la circulaire 66 de la BDL, les banques et les institutions financières doivent être transparentes avec leurs clients en présentant de façon claire les recettes et les risques potentiels des produits dérivés proposés.
Toutefois, « si les produits dérivés étaient moins réglementés au Liban, les personnes aux faibles revenus auraient pu, par exemple, profiter du boom du secteur de l’immobilier de 2009 et 2010 ... » a conclu le directeur associé de la banque française Natixis, Roy Awad.

La Banque méditerranéenne de développement, un projet en gestation qui pourrait bénéficier au Liban

L’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) et l’association des jeunes entrepreneurs Bader ont organisé mercredi une conférence à l’École supérieure des affaires (ESA) sur le projet de Banque méditerranéenne de développement. Ont pris part à cette conférence le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, le président de la commission française chargée de faire avancer le projet, Charles Milhaud, le président de l’Association des industriels libanais (AIL), Nehmet Frem, ainsi que le délégué général de l’Ipemed, Jean-Louis Guigou, et le directeur général de l’ESA, Stéphane Attali.
À cette occasion, M. Salamé a souligné que la BDL soutenait depuis deux ans l’initiative de l’Ipemed pour le lancement de la Banque méditerranéenne de développement, étant donné que sa création permettrait d’améliorer les conditions économiques et sociales dans la région du bassin méditerranéen.


M. Salamé a en outre déploré les grandes disparités économiques entre les pays méditerranéens. « En effet, le PIB total des pays du bassin est de 8 000 milliards de dollars. Cependant, force est de noter que 38 % des habitants de cette région vivent en Europe et détiennent 80 % des richesses, tandis que 62 % des citoyens du bassin méditerranéen, vivant en Afrique et au Moyen-Orient, ne possèdent que 20 % du total de ces richesses », a-t-il précisé.
M. Salamé a ainsi insisté sur la nécessité de développer des outils de financement qui permettraient d’orienter davantage les investissements vers les pays du sud de la Méditerranée. « Les banques privées ne peuvent pas à elles seules jouer ce rôle, d’où la nécessité de créer une banque financée par l’ensemble des pays méditerranéens, qui contribuerait au financement des projets d’infrastructure du secteur public ainsi que les investissements du secteur privé », a-t-il expliqué.
M. Salamé a toutefois souligné que la réussite d’une telle banque est conditionnée par le fait qu’elle soit tenue à l’écart des tiraillements politiques.

Accélérer le développement dans les pays arabes
De son côté, M. Milhaud, auquel le président Sarkozy avait confié la commission chargée d’étudier le projet en juillet 2009, a souligné que la création de cette banque est devenue de plus en plus pressante à la lumière du printemps arabe, qui a mis en avant la nécessité d’accélérer le développement dans ces pays. « En 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Banque mondiale (BM) a été créée ; en 1957, avec la création de la Communauté économique européenne (CEE), la Banque européenne d’investissement (BEI) a vu le jour. En 1990, suite à la chute du mur de Berlin, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a été créée. Aujourd’hui, avec les différents changements politiques que connaît le bassin méditerranéen, une banque régionale de ce type s’impose », a souligné M. Milhaud.
Ce dernier a en outre précisé que cette banque, dont le capital devra majoritairement être public, permettrait de passer d’une logique de transferts de fonds à une logique d’intégration régionale durable.
M. Milhaud a également expliqué que sa commission avait insisté pour que quatre grands principes régissent la création d’une telle banque : la conditionnalité de réformes qui doivent être engagées parallèlement, la complémentarité entre cette nouvelle entité et les institutions déjà existantes, la subsidiarité vis-à-vis du secteur privé et la notation AAA comme préalable absolu à sa création.
« Les principales tâches de la banque consisteront notamment à transformer l’épargne locale en investissements de moyen terme, à soutenir le secteur privé, spécialement les PME, et à accélérer le développement des marchés financiers », a expliqué M. Milhaud.
Interrogé par L’Orient-Le-Jour sur les obstacles que pourrait rencontrer la création de cette banque, M. Milhaud a souligné qu’ils étaient principalement d’ordre politique. En effet, selon lui, si le projet est fortement soutenu par la France, l’Espagne et l’Italie, il ne suscite toutefois pas le même engouement parmi d’autres pays européens, ce qui pourrait retarder sa réalisation de quelques années.

La hausse des transferts d’argent sortants, une menace pour l’économie ?

L'écart entre les transferts d'argent en provenance de l'étranger et ceux en partance du pays ne cesse de reculer depuis un certain temps, ce qui risque d'affecter de manière négative l'économie locale, estiment certains analystes. En effet, l'écart entre les flux intrants et les flux sortants (les investissements directs étrangers (IDE) et les dépenses touristiques exclus) a chuté de 2,8 à 1,8 milliard de dollars entre 2008 et 2009, et risque de se rétrécir davantage cette année, à l'ombre des tensions actuelles sur les plans local et régional. Selon le rapport de la Banque mondiale « Migration and Remittances Factbook 2011 », récemment publié, aussi bien les transferts intrants que sortants ont toutefois augmenté de manière conséquente en valeur absolue. En effet, les transferts d'émigrés sont passés de 7,2 milliards de dollars en 2008 à 7,6 milliards en 2009 et à 8,2 milliards en 2010. De leur côté, le montant des transferts en partance du Liban (effectués essentiellement par des travailleurs étrangers) est passé de 4,4 à 5,8 milliards de dollars entre 2008 et 2009.
À l'origine de l'augmentation des transferts en provenance de l'étranger : la stabilité politique dont a bénéficié le pays du Cèdre au lendemain des accords de Doha en mai 2008, qui a encouragé les émigrés à poursuivre l'envoi d'argent vers le Liban. Mais aussi la résilience dont a fait preuve l'économie libanaise face à la crise internationale. Celle-ci a encouragé de nombreux expatriés à placer leur argent dans leur pays natal, considéré à l'époque comme une terre refuge. Dans l'autre sens, les flux sortants, intrinsèquement liés à l'évolution de la conjoncture locale et internationale, ont eux aussi profité de la stabilité politique et de la crise financière internationale. Ainsi, avec les taux de croissance élevés enregistrés au Liban entre 2008 et 2009, il était normal que ces transferts augmentent. Selon l'économiste Nassib Ghobril, cette stabilité politique couplée à une forte croissance économique avait entraîné une hausse des opportunités d'emploi pour les travailleurs étrangers peu ou pas qualifiés, notamment dans le secteur de la construction, d'où la croissance des transferts d'argent sortants.

Reste que l'évolution des flux sortants (+31,8 % entre 2008 et 2009) a été nettement supérieure à celle des flux intrants (+5,5 % au cours de la même période), ce qui pourrait nuire à l'économie libanaise. En effet, selon l'économiste Paul Doueihi, la hausse des transferts d'argent en partance du pays influe négativement sur le solde de la balance des capitaux, et donc sur la balance des paiements. Celle-ci a, rappelons-le, enregistré un déficit de plus de 660 millions de dollars au cours des deux premiers mois de 2011. « À cela s'ajoute le manque à gagner, en termes de consommation interne ou d'investissement, découlant de la fuite de ces montants », qui représentent quelque 17 % du PIB, ajoute Paul Doueihi.
Cet avis ne fait toutefois pas l'unanimité ; selon l'économiste Louis Hobeika, la hausse des flux sortants est un facteur positif. « C'est un signe que le Liban attire les travailleurs étrangers (...) et que les besoins de notre marché, en matière de main-d'œuvre, sont totalement ou partiellement comblés », souligne-t-il.

La tendance va-t-elle se poursuivre en 2011 ?
En l'absence de chiffres sur les transferts sortants en 2010, il est difficile d'estimer si l'écart entre les transferts intrants et sortants s'est rétréci davantage l'an dernier ou encore si la tendance se poursuivra en 2011. Selon Nassib Ghobril, la crise actuelle dans le monde arabe pourrait néanmoins affecter l'évolution des flux intrants et sortants si l'effet domino se propageait aux pays du Golfe. En effet, une grande partie des transferts d'émigrés émane de cette région, jusque-là épargnée par les troubles régionaux. Quant aux transferts à partir du Liban, ils seraient également affectés dans ce cas de figure, vu que la majeure partie des investissements arabes au Liban provient des riches monarchies pétrolières. « Si les investissements étrangers reculent, les projets, autant dans le secteur de l'immobilier que dans d'autres secteurs, risquent en effet de racornir, ce qui affecterait l'emploi des travailleurs étrangers et par conséquent le montant des transferts en partance du Liban », explique à cet égard un expert sous couvert d'anonymat. En somme, l'écart entre les flux intrants et sortants pourrait donc se stabiliser, selon lui. Pour l'économiste Nassib Ghobril, « la crise arabe ne devrait toutefois pas avoir d'impact majeur sur la situation des travailleurs étrangers au Liban (...) ni sur leurs transferts à l'étranger », ce qui pourrait se traduire, selon lui, par un maintien de la tendance amorcée en 2008.